- WRIGHT (R.)
- WRIGHT (R.)Tout autant que par un puissant talent de conteur, fidèle à la tradition populaire et naturaliste, l’œuvre de Wright se distingue par l’honnêteté de son engagement et la qualité prophétique de certaines de ses perspectives. Il demeure l’écrivain afro-américain le plus important de sa génération, le plus représentatif peut-être par son itinéraire spirituel, qui passe du marxisme à l’existentialisme, puis à un internationalisme centré sur le Tiers Monde. Au-delà de la création du personnage de Bigger Thomas, devenu l’un des archétypes du Noir révolté, son apport ne consiste pas seulement à avoir représenté les horreurs du racisme et les problèmes de l’urbanisation, mais à avoir, l’un des premiers, exploré les potentialités humanistes et révolutionnaires des peuples de couleur.Du Sud raciste à la gloire new-yorkaiseLa plupart des thèmes de l’univers romanesque de Richard Wright découlent de l’oppression subie pendant son enfance mouvementée dans le Mississippi (l’un des États les plus racistes des États-Unis) et de ses expériences et observations dans le ghetto de Chicago durant la crise économique des années trente. Pauvreté, instabilité familiale, religion adventiste tyrannique, instruction sommaire, racisme omniprésent: tels sont les handicaps que Wright surmonte en s’enfuyant, à Memphis d’abord, puis à Chicago en 1927. Là, il s’initie à la littérature sous l’égide du Parti communiste américain, et ses premiers poèmes et nouvelles reflètent son engagement politique. Il part pour New York en 1937, et le succès des Enfants de l’oncle Tom (Uncle Tom’s Children , 1938) lui permet d’abandonner le journalisme pour écrire Un enfant du pays (Native Son , 1940), qu’il adapte l’année suivante pour la scène. Dans ce tableau documenté, Wright dépasse la protestation naturaliste par un symbolisme intense. Le drame de Bigger Thomas débouche sur un existentialisme dostoïevskien, que le romancier approfondira dans la plus réussie de ses nouvelles, L’homme qui vivait sous terre (The Man Who Lived Underground , 1942). Dans un récit presque épique, il évoque la migration des masses afro-américaines sous le titre Twelve Million Black Voices (1941). Il quitte alors le Parti communiste, déçu par son manque de soutien aux Noirs, et se tourne vers l’autobiographie. Black Boy (1945) retrace sa jeunesse, sa libération d’un milieu hostile et l’éveil de sa vocation littéraire. Traduit en vingt langues, l’ouvrage consacrera sa renommée.Existentialisme et exilParvenu au maximum des honneurs que puisse obtenir un Noir américain, Wright n’en poursuit pas moins sa quête. Psychanalyse, sociologie, philosophie existentialiste le confirment dans sa décision de retrouver ailleurs un humanisme étouffé par le racisme, le capitalisme, l’urbanisation américaine. Il s’établit définitivement à Paris en 1947, mais voyagera constamment: en Europe, en Argentine, en Afrique, et jusqu’en Indonésie pour la conférence de Bandoeng. Pas plus que le communisme, l’existentialisme ne lui apporte, en effet, de réponse. Son roman Le Transfuge (The Outsider , 1953) représente son avancée extrême dans cette voie: Cross Damon recherche la liberté totale «par-delà le bien et le mal» mais n’éprouve les angoisses de la conscience contemporaine désacralisée que pour découvrir la nécessité d’un «pont entre les hommes». Wright revient alors aux sources de son inspiration avec Fishbelly (The Long Dream , 1958), à la fois Bildungsroman et critique des relations raciales dans une petite ville du Sud. Son dernier recueil de nouvelles, Huit Hommes (Eight Men , 1961), et Bon Sang de bonsoir (Lawd Today ), écrit en 1937 mais publié en 1964, révèlent surtout un humour absent du reste de l’œuvre.L’intellectuel du Tiers MondeEn fait, durant les années cinquante, Wright s’intéresse davantage à la décolonisation. Il est un des fondateurs de Présence africaine et peint dans Puissance noire (Black Power , 1954) l’émergence du Ghana sous Nkrumah. Il met le catholicisme ambigu de l’Europe décadente – c’est la thèse d’Espagne païenne (Pagan Spain , 1957) – en contraste avec la solidarité raciale et religieuse du monde de couleur qui affronte l’Occident: Bandoeng, 1 500 000 000 hommes (The Color Curtain , 1955). Sous le titre significatif d’Écoute, homme blanc! (White Man, Listen , 1957), il rassemble une série de conférences qui constitue son testament politique. Devant le silence et l’opposition de l’Amérique maccarthyste et les progrès du néocolonialisme, il lance un dernier appel: il éclaire le dilemme culturel et politique des élites de couleur déchirées par une double appartenance. Répudiant les traditions religieuses ancestrales et une certaine négritude devenues facteurs de stagnation, il prône le recours au rationalisme et à la technique pour la libération de l’Afrique moderne. À Paris, une crise cardiaque met brutalement fin à sa lutte pour le nationalisme africain et les droits civiques aux États-Unis.
Encyclopédie Universelle. 2012.